Traversées



Moi, je n’ai pas beaucoup voyagé. 

Ou plutôt, si, mais sans beaucoup bouger. 

Assise derrière mon bureau, 

J’ai vu défiler des pays. 

J’ai parcouru l’Afrique, j’ai exploré sa corne : Somalie, Soudan, Érythrée.

J’ai arpenté le Maghreb, entre la mer et le désert.

J’ai exploré le grand Est, de la Turquie à la Russie, en passant par Tbilissi.

Je me suis aventurée encore plus loin, à travers la Mongolie, et jusqu’à la Chine.


Tant de visages que je n’ai pas écrits,

De peur de voler leurs histoires.

Celles qu’ils doivent répéter jusqu’à la nausée : 

Pourquoi êtes-vous parti, par où êtes-vous passé, quand êtes-vous arrivé ?

Nom Prénom et surtout, nationalité.

Moi et ma petite vie tranquille, on nous fout la paix. 


Mais les vies déposées dans mes oreilles, elles y sont restées. 

Parmi les autres, il y a celle qu’Abdelhamid m’a confiée.

Comme les autres, c’est une histoire de traversées : 

Traversée du désert, de Khartoum jusqu’à Tripoli. 

On passe sur ce qui s’y passe. Pour les femmes, c’est toujours pire. 

Traversée de la mer, celle où on part en vacances. 

Une croisière en barque, vers une destination inconnue, frissons garantis. 

Traversée de la montagne, de l’Italie jusqu’à la France, en passant par la vallée de la Roya. 

Course poursuite avec les flics / Hospitalité d’un cultivateur d’olives. 

Traversée des langues, pour trouver son chemin jusqu’à la ville lumière. 

Abdelhamid rêvait de tour Eiffel.

Il a atterri sous un pont, porte de la Chapelle. 


54 jours à pieds selon Google Maps,

A avancer sous le poids de l’espoir.


Et il y a toutes les autres histoires. 

Elles passent parfois aux infos. 

Mais c’est un peu différent quand vous les lisez dans leurs yeux. 

Un poète disait : « Quand on pose une question, il faut être prêt à entendre la réponse ». 

Est-ce qu’on est prêt ? Non, mais on est là.

On est là lui et moi, et tous les autres. Ceux qui sont restés là-bas, ceux qui ne reviendront pas, ceux qui arriveront un jour, peut-être. 

On est là, entre ces quatre murs, et aussi là-bas. 

Qu’est-ce que je peux répondre à ces yeux ? Bravo… ? Je suis désolée… ? 

Accrochée à mes accoudoirs, je ne peux qu’écouter. 

J’écoute surtout la vie qui fait sortir les mots, 

comme on pousserait les pierres empilées obstruant le passage. 

Et, parfois, un rayon de lumière traverse. 


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