Traversées

 


Mes yeux se posent sur la carte. Je surplombe le planisphère. Mon regard glisse, et je quitte la terre, celle qu’on appelle France, Europe, Vieux Continent. Je traverse la limite qui sépare le vert du bleu. 

Je vole au-dessus de la mer immense, qui a pour nom Atlantique, elle qui a si longtemps constitué le dernier horizon, l’ultime frontière, l’abîme. Nuances de bleus, reliefs, failles. L’océan n’est pas lisse. Et il n’est pas sans fin. Je vois apparaitre un autre côté, autre rivage, mirage, un nouveau monde ?  

Quelques toits émergent ça et là, comme des bateaux perdus dans une marée d’arbres. Terre, soutien fidèle. A partir de Cayenne, un fil jaune longe la côte, direction Nord-Ouest. Kourou, d’où partent les fusées vers les cartes d’étoiles. Sinnamary puis Iracoubou, mots magiques et inconnus de mon ordinateur, qui les souligne d’un trait rouge comme de mauvais élèves. Un tracé de pointillés blancs croise ensuite la N1, descendant vers le Sud, s’enfonçant par saccades vers l’inconnu, vers le vert de plus en plus profond. Je reste sur mon chemin, jusqu’au prochain carrefour : continuer à suivre la rive, tout droit vers Mana, ou bifurquer à travers la forêt amazonienne ? Quoi qu’il en soit, on rencontre encore un ruban beige, slalomant en parallèle des pointillés. Mais les rivières n’arrêtent plus les routes. Elle se poursuit, et les traces de vie humaines se densifient, deviennent compactes. C’est Saint-Laurent du Maroni. A gauche, les rues droites du centre ville colonial, quadrillage militaire taillé par les bagnards. A droite, les circonvolutions folâtres du quartier haïtien, où tout s’entrelace. Derrière la ville, le fleuve qui la baptise. Sur la carte, la ligne blanche de la frontière se superpose à la ligne plus large du Maroni couleur terre. Au delà, Albina, Surinam.

L’eau coule, porte la vie, les vies qui l’ont traversée, apprivoisée, y ont trouvé refuge. Les esclaves marrons ont gagné leur liberté ici, ont créé ces villes que ne relie aucun trait sauf celui du courant, et dont les noms conservent leur histoire, leur mémoire, leur légende. Apatou, Mompé Soula, Grand-Santi. 

Commentaires

Articles les plus consultés