Le Jardinier



L’automne est précoce cette année. 31 août, déjà les feuilles mortes tombent. La brouette attend. Mais le jardinier ne viendra pas. Les tomates noircissent, les aubergines se flétrissent, les courgettes gisent au sol, énormes. Personne ne les ramassera. Il n’y aura pas de potimarron ni de butternut. Et qui nourrira les poules ? 
La cour est vide.
La dernière fois que je l’ai vu, j’ai acheté quelques légumes. Il les a posés sur la balance, de ses mains pleines de terre. Ça ne tombait pas juste avec mon billet, il a ajouté une tomate, comme il faisait souvent, pour arrondir. Nous avons ri en reparlant de ses dernières lectures dans le Guiness book : l’homme le plus gros du monde, la courge la plus grosse… quand il rit son visage s’illumine, il sourit et ses yeux pétillent de malice, comme ceux d’un enfant. Je suis partie comme d’habitude en lui disant : Faleminderit, Mirupafshim ! Merci, Au revoir ! Quand on prononce ces mots, on ne s’attend pas à ce qu’il n’y ait pas de « revoir » justement. 
La police est arrivée chez lui mardi à 5h du matin. Lui et sa femme ont été emmenés à un avion, direction l’Albanie. Sans prévenir personne, n’emportant que le strict minimum. C’est ce qui s’appelle, en terme juridique, l’application de l’OQTF, l’Obligation de Quitter le Territoire Français. C’est la loi. Un enlèvement ? Une rafle ? 
10 ans. 10 ans qu’il vivait là, dans cette ville « où il fait bon vivre ». Il était arrivé avec sa femme, sa fille et son fils. Qu’est ce qui pousse quelqu’un à quitter son pays ? Les aides sociales, vraiment ? A quitter sa maison, sa famille, ses amis, son travail, sa langue, sa culture. Abandonner sa vie pour les APL et la CMU ? Ils étaient en danger.
Ils sont arrivés sans rien, ont d’abord dormi sous des couvertures devant la gare, dehors. Il faut demander l’asile, il faut trouver un toit, il faut apprendre la langue. Et puis petit à petit, ils ont rencontré des personnes, ils ont tissé des liens. Qui est le plus heureux ? Celui qui aide, ou celui qui est aidé ? Et qui aide qui ? C’est dans la fraternité que l’être humain s’accomplit.
Depuis des années, il prenait donc soin du jardin : planter, arroser, ramasser. Il souriait toujours. Il aimait ce travail. Il prenait soin de la terre. 
Mais aucune de ses demandes de régularisation n’avaient aboutie. Il était ce que certains politiques nomment un « clandestin », suspect parce qu’étranger, potentiel délinquant, terroriste en puissance. 
Pourtant, l’article 13 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, adoptée par la France en 1948, proclame :  
« 1. Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un Etat. 2. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. »
A l’heure qu’il est, la terre, la terre de mon pays qui l’a rejeté, est encore incrustée dans les paumes de ses mains.
Mais qui a les mains sales ?

Commentaires

Articles les plus consultés